88 jours d’enfer ou de fermes?

En Australie en tant que bon européen, on a l’occasion de renouveler son visa d’un an. Et oui, pourquoi ne pas continuer la fête? Pour cela, on doit travailler 88 jours dans un certain domaine, soit en ferme. Pour contribuer à l’ascension de ce beau pays, pour nous apprendre la vie derrière les grandes villes et voir comment se passe l’agriculture à l’autre bout du monde.

Arrivée à Griffith avec Ivanie dans un working hostel lundi dernier, on nous a trouvé un travail dès le lendemain. Plus efficace que ce que je ne pensais, à mon plus grand plaisir. Après, ils sont payés pour ça. Dans un working hostel, comme son nom l’indique on est là pour travailler. Quand on paye le loyer, on paye également la recherche de travail. De ce fait, ils abusent sur les loyers, et en Australie, on les paye à la semaine. À 170$ la semaine pour une chambre de huit dans un village pas beaucoup plus grand qu’Amnéville, c’est relativement cher payé. Mais on ne s’en plaint pas (pas trop (enfin si vraiment)), on a du travail et c’est ça qui compte.

Environ 80 personnes dans ce working hostel, de toute nationalité, toute y compris française bien entendue. Que serait une auberge sans français? Mais nous ne sommes pas en majorité comme la plupart des cas, heureusement. Venue ici pour l’argent, l’ambiance et pour parler anglais, je suis servie. Enfin… Si seulement ils payaient en temps et en heure. Deux semaines que je travaille et toujours pas de paye sur mon compte. Je dois donc apprendre à vivre avec 12$. C’est assez dur, mais on s’y fait. French shopping (comprendra qui voudra) et à l’affût des réductions au Woolworth, j’arrive à m’en sortir.

En ce qui concerne le loyer, César, le patron de l’auberge, qui est plutôt autoritaire, mais surtout très humain est compréhensif. Pas d’argent pour payer le loyer? Tu le paieras quand tu pourras, tu as juste à me donner mon passeport en échange. Bref, j’ai deux semaines de retard.

César parlons en. Ivanie m’avait parlé de lui, ni en bien ni en mal. Je m’attendais à tout sauf à ce que j’ai vu. Première impression pas très bonne. M’appelant sweetheart ou sweetie, ce n’est pas ce que je préfère, loin de là. Mais vu que j’avais besoin d’un travail rapidement, je ferme ma gueule et j’accepte. Au fil des jours, je l’apprécie de plus en plus. Il se montre dominant mais je me rends compte que c’est plus une façade. Ayant honte de lui avouer que je n’avais plus d’argent pour payer mon loyer, je voulais le prendre à part dans son bureau. Je lui explique et ses seuls mots ont été « Tu as un passeport? » donc j’ai compris qu’il était compréhensif. Pas de tabou ou de gène possible finalement. Charlotte étant dans le même cas que moi, a été lui parler de ses problèmes d’argent. Il lui a répondu que s’il fallait, il lui prêterait de l’argent pour faire ses courses de la semaine, car « personne ne reste dans son hostel sans manger ». Et avec le travail que l’on fait, il a raison. Cœur sur lui finalement. Mais n’exagérons rien, ça reste César, le gérant autoritaire, têtu et (un peu) pervers de l’auberge.

L’auberge n’est pas si mal. Mais elle pourrait être bien mieux pour le prix. La cuisine est petite à l’échelle du monde qu’il y a. Forcément, on rentre tous du travail à la même heure, et quand tu veux cuisiner tu dois faire la queue pour avoir une poêle, ou une casserole propre. Cependant, faire à manger autour de tout ce monde c’est assez agréable. Les italiens me donnent des idées et des conseils culinaires (et oui j’en ai vraiment besoin vu comment je cuisine. Non sérieux, j’arrive à foirer des pâtes). Les allemands font des salades qui ont l’air vraiment appétissantes, et les argentins font des brunchs qui donnent envie de devenir latino. Après il y a Solène qui tout comme moi foire ses salades, et on en rigole toujours.

Ici c’est l’hiver, qui dit hiver dit froid, qui dit froid dit dépression. Je n’aime pas le froid, c’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai quitté la Lorraine… On m’a vendu l’Australie comme un pays chaud et exotique. Mensonge! Il fait aussi froid qu’en France. Peut être pas autant, mais tout de même. Avec mes trois pulls et mes deux jeans je n’irai pas bien loin. C’est dur de regarder les photos de mes amis devenus instagrameurs l’été en France, avec leurs shorts et leurs coups de soleil. Après je me dit qu’ils sont en France, et que ça ne dure que deux mois. Je vais devoir passer pour la première fois mon anniversaire (J-41) avec un pull et un bonnet (quoi que, la température inférieur à 15°C en août on a déjà du voir dans le nord de la France). Les après midis restent doux avec le soleil. En tee shirt à flâner dans le jardin de l’hostel, ça va comme hiver. Mais les matins au travail, les 1°C on les sens passer. Surtout qu’on a les mains trempées.

Mon travail, parlons en… Il y a beaucoup à dire. Je fais quoi? Concrètement, je lavais des arbres pendant trois jours sans savoir pourquoi. Je ne savais même pas que des arbres ça se lavaient. Après trois jours, on a commencé à filmer les palettes remplies d’arbres avec du film transparent. Pas beaucoup plus intéressant, mais au moins on n’a plus les mains dans l’eau. Vous vous demandez pourquoi on fait ça? Nous sommes une petite trentaine à travailler dans cette ferme d’amande. Etant donné que ce n’est pas la saison des récoltes, une des team ramasse les arbres qui sont plantés, pour les mettre sur un tracteur (conduit par « Pau », on connaît pas son prénom mais avec Ivanie c’est comme ça qu’on l’appelle. Il nous emmerde vraiment, et il fait semblant de travailler). Ces arbres sont ensuite lavés par nos soins, puis filmer pour les envoyer chez les clients dans d’autres régions. Oui ils sont pleins de terre… Normal ils étaient plantés… Non mais sachez qu’en Australie il y a six vastes régions, et ces régions n’ont toutes pas les mêmes lois. Il faut donc laver toutes traces de terres, d’éléments parasites qui pourraient causer des problèmes dans d’autres régions où sont envoyés ces arbres. Les australiens utilisent beaucoup de pesticides et d’hormones dans les plantations, j’imagine que les lois concernant ces pesticides diffèrent en fonction des régions. C’est la seule explication qu’on m’a donné. Et je m’en contente. En fait je m’en tape. Depuis une semaine et demi, on ne fait que filmer les palettes remplies d’arbres… j’en ai vu passer des amandiers, je trouve ça bizarre que je n’en ai pas encore rêvé. On se lève à 5h30 tous les matins pour voir passer des arbres toute la journée, ça change vraiment de mes calculs thermodynamiques. On finit de travailler à 16h, c’est César qui vient nous cherche avec son mini bus, qu’on paye 10$ par tête par jour. C’est cher payé, sachant qu’il est toujours en retard. On rentre à l’auberge tous les soirs vers 17h30, alors que la ferme est à 25 minutes de trajet. Merci César, on adore. Une fois rentrés, la douche est inévitable. On marche dans la boue toute la journée, on est dégueulasses. C’est le mot. On fait à manger, on se raconte les ragots de la journée et c’est dodo. Les week ends ça change un peu, sauf quand on bosse. La semaine dernière on a travaillé 7j/7, pour un salaire identique à la semaine. Pas un jour de repos pendant douze jours c’était dur. Dur pour le physique et pour le moral. Pour le physique, au bout de quinze jours on s’y fait. On a mal mais on a l’habitude. Pour le moral, on sort tous les week ends, travail ou non. Ça fait du bien de voir du monde en dehors du travail, bien sappés et maquillés, y en a qui en ont bien besoin. Car les oranges/jaunes de travail, ça va bien cinq minutes, mais moi qui aime me fringuer, ça me fait vraiment du mal de mettre les même habits toute la semaine.

Heureusement, on est tous dans la même merde. Et on le sait. On fait ça pour l’argent et pour les 88 jours de fermes. Sinon, on ne resterait pas. On s’entraide entre nous, on en a besoin, c’est ce qui nous fait tenir. Oui l’Australie est un pays magnifique mais c’est parfois très dur. On est entourés et on en profite.

Le jour où je me suis faite virée

Take your stuff and call Cesar to bring you home. You’re fired!

Some b*tch

Lovely day today, que mes collègues disaient. Un grand soleil, quelques heures avant le week-end, tout était écrit pour être une bonne journée. Pour moi ce ne fût pas le cas. La journée n’est pas finie, tout peut encore arriver… Mais ça part sur une assez mauvaise note. Aujourd’hui, 19 juillet 2019, après 8 mois en Australie, à quelques jours de mon anniversaire, je me suis fait virer!

Un mois que je travaille dans cette ferme au fin fond de nul part, un mois que je suis arrivée dans l’hiver que je croyais légende en Australie, un mois que je fais un travail que je haïs totalement. Mais ça va, je supporte. Les collègues sont amusants, surtout quand ils essaient de me parler français. C’est mignon, et l’accent anglais ça rend sexy, et spécialement avec de longs cheveux blonds et de beaux yeux bleus… Mais bref passons.

Mon patron c’est Mick, un australien très calme et attentionné. Il a un accent australien peu prononcé, ou alors je me suis habituée en 8 mois. « How you goin’?« , « Hang on! » et « G’day! » sont ces phrases fétiches. Comme tout australien qui se respecte. Il est souriant et ça fait plaisir de travailler pour quelqu’un comme ça. Si j’ai un problème, il est toujours là pour m’aider.

J’ai un autre collègue que j’adore et qui est aussi dans mon auberge, c’est Jordan. Un anglais de petit taille, indifférent aux premiers abords, mais si gentil une fois qu’on commence à le connaître. Quand Ivanie était encore là (elle nous a laissé pour aller retrouver un peu de soleil, non mais je te jure…), c’était notre chouchou. C’est notre conducteur de forklift, j’ai aucune idée de la traduction française (ça y est, je prends la grosse tête après 8 mois à parler anglais, non j’ai juste aucune idée des noms de ces machines, je ne pensais jamais travailler dans ce genre de domaine), mais en gros c’est un véhicule qui possède un chariot élévateur. Il conduit son véhicule comme s’il conduisait une formule 1… C’est hilarant, et depuis qu’Ivanie est partie, heureusement qu’il est là pour me faire rire. Je lui raconte mes histoires de cœur (j’en ai, vraiment?) et il se moque de moi. Il est tout aussi attentionné que Mick. Pas plus tard qu’hier, je lui ai demandé l’heure en plein milieu de la matinée, il m’a menti pour que je sois plus surprise d’avoir le lunch un peu plus tôt que ce que je ne pensais. Il voyait mon désespoir d’atteindre le week-end. Toute la journée il apprend l’espagnol dans son oreillette. Il dit que c’est parce qu’il veut vivre en Espagne, mais sa copine est argentine… Coïncidence? Petit Jordan, tu ne peux rien me cacher. No comprendo.

Pour ceux qui ont lu mon dernier article, je lave toujours et encore des arbres. Mais cette fois j’ai une autre tâche en plus de celle-ci, c’est de les emballer avec du film transparent. Jordan est là pour m’aider bien entendu. C’est plus sympa, c’est pas difficile mais le temps est très long. Ça m’ennuie quelque peu. Du coup, j’écoute des podcasts scientifiques qui me font tourner la tête. Le dernier que j’ai écouté c’était « les 100 ans de la relativité restreinte ». La science ça me manque vraiment. En même temps, laver des arbres ce n’est pas très captivant. Toujours une forte envie de réaliser une thèse après mes deux ans d’Australie. Quelques soirs par semaines, quand je ne râle parce qu’il fait trop froid ou que je ne discute pas ragots avec Clara et Solène, je cherche quelques idées de thèses sur internet. Ça me passionne et me motive.

Ici à Griffith, c’est la routine. Mais pas n’importe quelle routine. En effet, on rentre on voit les mêmes personnes tous les jours, même si il y a pas mal de nouveaux. On croise Clara qui râle parce qu’elle a pris des kilos, alors que moi je la trouve pétillante, Solène qui s’est mise à faire de bonnes salades, je suis jalouse maintenant, les italiens qui font toujours des plats incroyables, Cory qui s’est mis à l’eau à la place du vin bon marché, et notre petite Charlotte qui nous sort une nouvelle histoire chaque jour. D’ailleurs, depuis une semaine on n’a pas croisé Cesar. C’est qu’il nous manquerait presque.

Je suis rentrée hier à 14h au lieu de 17h. Oui, le jour où je me suis fait virer. Du coup, cette journée là ce n’était pas la routine. Enfin, elle se déroulait comme ci. Je travaillais tranquillement comme à mon habitude. Dès le matin, je croisais Tom avec ces remarques plutôt déplacées, Jordan qui passait avec son forklift me lançant des regards provocateurs (j’arrosais souvent son pare brise pour l’embêter, dites moi que je l’ai mérité). Vers midi, alors que j’arrosais les arbres, une des chefs, dont je ne citerai pas le nom, car premièrement elle ne le mérite pas et deuxièmement, je ne vais pas parler d’elle gentiment, vient demander si sa collègue est dans les parages. Je ne dis que je ne sais pas, et après tout je m’en fou j’avais pas vraiment envie de te répondre, je ne t’aime pas. À sa deuxième question n’ayant pas entendu avec tout le bruit autour de moi, je répond un « What? » totalement innocent pour qu’elle répète. Je vois à ce moment dans son regard qu’elle est assez impatiente. Elle part en rechignant quelques phrases anglaises avec son accent asiatique incertain. C’est ça casse toi, ai-je pensé. Elle ne vient jamais nous voir, bien heureusement. Et il a fallut qu’elle vienne à ce moment là. Une heure plus tard, le lunch. Mon moment préféré de la journée. Alors que je savoure mon plat de pâtes au saumon, fêta et champignon, on m’appelle pour me dire qu’on a besoin de me parler. Durant la pause ça parait plutôt étrange. J’attends donc. Je la vois arriver assez colérique. Elle me dit que quand elle me demande de faire quelque chose je dois le faire. Tu n’es pas ma chef, c’est Mick mon boss. Mais, comme on m’a appris en école d’ingénieur, être lèche botte c’est ce qui marche le mieux. Mais pas cette fois. Je m’excuse donc. Elle ne les accepte pas la s******. Alors ma grande, quand on te donne des excuses, la moindre des choses est de les accepter; on t’a rien appris à l’école? En plus d’être moche et petite, tu n’es pas aimable. Super. C’est dans ces moments comme ça que je suis contente d’être moi, grande, mince (à vérifier), pas si moche et polie. Elle m’interrompt donc pour me dire que je dois dégager, que je suis impolie, qu’elle n’a plus besoin de moi et que je suis virée. Énervée, je ne dis rien et je pars me réfugier dans les toilettes pour me calmer. Le silence est d’or et ça ne sert à rien de s’expliquer avec ce genre de personne. Moi, je suis impolie? Nous n’avons pas les mêmes valeurs. Si nous étions en France, tu serais sous mes ordres. Mais sous prétexte que nous sommes backpackers, que nous n’avons pas le choix et que nous sommes à des milliers de kilomètres de chez nous, on doit être pris pour de sombres merdes? Non, of course not. Sans nous ma cocote, ta ferme elle serait morte. Donc un peu de respect je te prie. M’enfin… Je suis partie en bus après une demi heure d’attente pour revenir à mon auberge, dans tous mes états. C’est à ce moment là que ce bon vieux Jordan m’envoie un message qui me dit que Mick, mon vrai chef, a réussi à me redonner mon travail. Je reviens donc lundi… Dans le froid, avec mon tupperware et mes habits fluorescents. Woowoo!

J’ai réussi à perdre mon travail et à le récupérer, tout ça dans la même journée. Fatiguée de cette journée, je me suis couchée tôt. Et aujourd’hui, samedi, on fête ça en boîte avec toute l’auberge. Je l’ai bien méritée.

Moi me faire virer? C’est jouer avec ma fierté, ma si grande fierté qui doit prendre au moins toute la pièce… Mais c’est une anecdote que je serais contente de raconter. Comme quoi l’Australie, c’est vraiment un ascenseur émotionnel.

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